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Editorial

        Pourquoi parler de la Tradition aujourd'hui ?   Par évidence ! la Tradition relie la Vie à la vie. Par ses enseignements, son origine, elle a transmis aux différentes cultures du monde une connaissance métaphysique, une perception intérieure et des expériences de vie concrètes, reliant les principes supérieurs aux activités humaines. Qu’il s’agisse de gouvernance, du comment vivre au sein de notre écosystème, des rapports entre les différentes parties du vivant mais aussi entre le féminin et le masculin… une richesse extraordinaire nous reliant à travers le temps et l'espace à la diversité des communautés humaines et, de par son Unité principielle, à l'Origine même du vivant.

 

        En dehors de tout fanatisme, qu'il soit celui de la raison autocélébrant son propre culte, celui de religieux affolés ou de néo-spiritualités fantasques, la Tradition insère l'homme à sa juste place entre Ciel et Terre ― donnant sa dignité à l’être humain, transmettant un contact précieux (Tawhid) : ce magnifique lien d’amour et de connaissance unissant le Vivant à lui-même.

         Une alternative au royaume du Roi pêcheur déliquescent ? Sur scène Donald Trump, Vladimir Poutine, Xi Jinping.  Une fébrilité planétaire - le risque d'une déflagration mondiale. Le spectacle est impressionnant, mais que se passe-t-il dans l'ombre ? Une transformation profonde est en cours. Il est devenu urgent de la comprendre. Des idéologues du Kremlin aux technos césaristes de la Silicon Valley, de nouvelles élites cherchent à forger des empires[1]. La puissance de feu du projet qui s'impose depuis la Maison Blanche est incontestable.  Présentée comme inéluctable, elle est aussi un défi philosophique et culturel à relever.  Toute résistance commence par la connaissance – mais de quelle connaissance parle-t-on ? Est-ce ce savoir intellectuel pamphlétaire en incapacité de relever les défis du XXIe siècle[2], celle de frileuses tentatives écologiques ou le regain d’une spiritualité diluée qui suffiront à transformer la fureur du Minotaure ? Seul Un homme ― l’Homme véritable, incarné par Parsifal dans le mythe arthurien― nous libérera.  Une seule question : où est le Graal ? Directe, franche et toujours aussi dérangeante : dans toutes vos constructions, raisonnements, dans votre culture, vos politiques et projections économiques, où se situe la prise en compte du Centre, de l’Origine ? Avec en sous-texte : qui détient l’information apte à nous sortir de l’impasse et la puissance pour le faire : vous, seul ?  Ou croyez vous encore aux fadaises assassines du grand soir ?

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         Cela nous renvoie à un questionnement existentiel : le divin existe-t-il ou pas ? A chacun sa réponse mais tirons-en les conséquences comme nous y invite Sartre[3].  En clair, soit l'essence précède l'existence, soit l’existence précède l'essence selon le théorème existentialiste. Et quoi qu’en dise la philosophie moderne, c’est en réalité la question essentielle à laquelle nous devons répondre aujourd’hui.  Tant de mythes[4] nous disent le réel, nous rappellent la lutte archétypale entre l’ombre et la lumière. Paradoxe : autant la clarté de la lumière que les ramifications de l’ombre font peur à la toute-puissance de l’ego, préférant les eaux tièdes de son incertitude : ni ange ni crapaud[5].   Assaillis on line dans notre tour de Babel, vociférant à toute heure du jour et de la nuit mais évitant l’essentiel, pouvons-nous encore donner toute sa valeur au Divin : « Et, ils n’ont pas mesuré Allah à sa juste mesure[6] », ou ce « moi-je » autocentré règne-t-il toujours en maitre pataugeant dans son microcosme saumâtre ?   Si nous critiquons, à juste titre, les choix et la démence du monde moderne, pouvons-nous si aisément nous départir de sa mentalité ?  Que l’on badigeonne cette éphémère construction en rose, vert, rouge ou en blanc, la civilisation du prêt-à-porter incomplète et gazeuse menace de s'écrouler dans un grand fracas d'illusions brisées.  Construire la vie sans lien avec son Origine, c’est tracer un cercle sans au préalable y situer un centre. Essayez donc !

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        Soigner le monde, le reconstruire sur les bases du schéma fondamental de l'écologie du Vivant,

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            c'est faire corps avec ce que nous transmettent encore les peuples premiers et toutes les civilisations anciennes. Du pôle en passant par le désert et les cimes des montagnes, les hommes, quelle que soit leur époque, leur religion ou leur mythe, ont toujours associé les quatre coins de l'horizon à un Centre ― non par superstition mais par connaissance et expérience intérieure. Le Tradition, c’est la transmission : des lignées de maitres, des textes sacrés, des figures inspirantes l’attestent, un patrimoine universel passé sous silence, une nourriture mais aussi un médicament pour soigner nos manques de visions concrètes et nos approximations intellectuelles et spirituelles. Et précisément, c’est sur ce point que nous interroge la Tradition, sur notre propre cohérence. Que veut-on vraiment ? L’espoir d’un bien être aligné sur notre ego ou nous engager dans la voie du divin ? Dans ce dernier cas la tradition est claire : la voie spirituelle est un chemin de roses portant des épines.

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       Pardon ? Tu me parles de paix spirituelle ? Puis-je savoir ce qu’un morveux dans ton genre compte en faire ? Crois-tu que lorsque tu auras trouvé la paix à laquelle tu aspires, tu pourras te la couler douce jusqu'à la fin de tes jours ? A ta place, je commencerais plutôt à m'inquiéter sérieusement. A plus de soixante-dix ans, je continue à me faire un sang d’encre. Cesse de rêver ! me disait un ancien de temple de Horinji. Les enseignements du Bouddha doivent nous préoccuper  tout au long de notre vie.[7]

                                                                  Kodo Sawaki

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         Préférons-nous tourner en rond en creusant la tombe de notre civilisation ? S’agit-il de promouvoir une spiritualité humanitaire et frileuse, maintenir l’ordre des classes dominantes et la déraison scientiste en répétant en boucle, tels les écoliers que nous fûmes, les mantras de la modernité : progrès, idéologie et culture de masse : poulet et spiritualité pour tous ? Ou nous tourner aveugles vers des dictatures abolissant toute justice et toute fraternité ?

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       « Les chefs du déluge »[8] nous convient vers cet enfer et leur première victime est la vérité. Les ruines de Gaza seront bientôt les nôtres. Sans la sagesse incréée nous demeurons prisonniers de nous-même et dépendant des situations extérieures. Alors, soyons intègres, chevauchons le tigre et apprenons à être nous-même mais par la vérité.

 

​        Il serait absurde que Sawaki enfile le masque du Bouddha Shakyamuni. Sawaki est assez grand pour se défendre lui-même. […] Lorsque tu réalises que tu possèdes toi aussi quelque chose d'irremplaçable, tu cesses d'être en poids pour les autres. C’est une qualité que tu possèdes de toute éternité. Elle est ce qu'il y a de plus important chez toi.[9]

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        « Connaître la persuasion et connaître la dissuasion ; en connaissant la persuasion et la dissuasion, ne pas persuader et ne pas dissuader : exposé seulement la réalité »  (Majjhima-Nikâya) telle est la voie de la Tradition parlant à travers ses prophètes, ses maîtres, ses figures inspirantes et ses texte sacrés.  Aujourd'hui encore, comme l'exprimait hier Julius Evola :  « Ce n'est qu'en remontant aux significations et aux visions qui prévalaient avant l'établissement de la civilisation présente, qu'on pourra disposer d'un point de référence absolu, d'une clé pour comprendre effectivement toutes les déviations modernes – et pour trouver en même temps la tranchée imprenable, la ligne de résistance infranchissable destinée à ceux auxquels il sera donné, malgré tout, de rester debout » [10]

 

 

                                                        Ph.Y Demaison

 

 

[1] Cf. Le Grand Continent, L’Empire de l’Ombre, Guerre et Terre au Temps de l’IA, sous la direction de Giuliano da Empoli, Edition Gallimard, Paris, 2025. Lire, en particulier, Le coup d’Etat permanent de la Silicon Valley, qui redit le jeu d’illusion dans lequel se déploie en permanence et avec adresse les plus grandes menaces de la mentalité du monde moderne.

[2] Comme il fut incapable d’éviter les grands massacres du XXe siècle.

[3] Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, Éditions Gallimard, Paris, p.37.

[4] Cf. Mircea Eliade

[5] Gitta Mallasz, Dialogue avec l’Ange, Éditions Aubier, Paris, 1990, Entretien 39, p.239.

[6] Coran, sourate 6, verset 91.

[7] Kodo Sawaki, Force vitale, Éditions l’Originel, Paris, 2022, p.108

[8] « Déluge chefs » selon l’expression de Glenn Albrecht. Cf. son ouvrage Les émotions de la Terre, des nouveaux mots pour un nouveau monde, Éditions Les liens qui libèrent, Paris, 2019.

[9] Kodo Sawaki, Force vitale, Éditions l’Originel, Paris, 2022, p.28

[10]  Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, Éditions Guy Trédaniel, Paris, 2009.

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